jeudi 9 avril 2009

Réinventer la Médina-Femme (Tunis)


El Biban (Les Portes)

La Médina, ce vieux cœur de Tunis, un cœur qui bat encore malgré les années et les intempéries du temps et de l’espace, un endroit que j’aime autant que je haie. Cette Médina est toujours belle avec son affreuseté cachée, sa cruauté dérobée derrière la somptueuse architecture : des portes et des portes qui ne se ferment jamais, et qui ne s’ouvrent jamais, des portes qui ressemblent à des portes et qui ne portent aucune signification dans un espace perdu au milieu de la soi-disant modernité. Bab Bhar, Porte de la Mer, qui nous rappèle que la mTunisieer chatouillait, auparavant, les pieds nus de l’actuelle capitale qui n’était pas capitale. Bab Bhar, ce portail envahit par les vendeurs ambulants, et les taxis Algériens, les friperies, et les cafés, un ancien vestige au centre d’une réalité détériorée. Bab El-Kadhra ; et les portes se suivent, une après l’autre, Bab Aasal (et aucune rose ou abeille en vue), Bab Saadoun (et qui est Saadoun ?), des portes et des portes et des gens qui passent, se bousculent, et attendent, et achètent et vendent et ne font jamais attention aux portes : Les portes aujourd’hui ne représentent plus des passages ; elles marquent le lieu, une adresse peut-être…

Mé tdo99èch !!! La porte est ouverte et fermée!!!!

El Biban, ces bibans qui ressemblent à des portails sont comme plein d’autres vestiges ; elles ont perdu leur utilité et fonction ; elles ne protègent plus la Médina ; elles ne se ferment pas ; elles ne s’ouvrent pas ; elles sont des Bibans et Akahaw ! Des traces, des ruines qui évoquent un temps passé, une civilisation parmi d’autres, la touche Arabo-Musulmane, touche finale, mais aussi touche fatale. Ces Bibans avec leurs A9wess (arcades) me rappèlent son visage : ses sourcils, ses yeux, son sourire, ses belles formes, son corps et toutes les courbes et les virages et je me perds dans une Médina femme, différente de la Médina, une médina femme avec ses souks qui refoulent de délices enchanteurs, un goût à la tunisienne : une peau bronzée couleur de miel, une chaleur qui se dégage avec un parfum inoubliable, un été dans les yeux d’une femme, une autre Médina plus majestueuse que la Médina, une Médina qui a préservé sa beauté entière et son architecture unique : Des Biban qui s’ouvrent et se referment, des lèvres qui s’ouvrent et se referment pour dire un mot, quelques mots peut-être et un mot peut nous tuer, et un autre peut nous ressusciter ; des dômes et des arcades, des seins si doux qui se balancent comme deux arjoun de Degla, un ventre de danseuse orientale qui ressemble à la pleine lune, des fruits interdits, mais aussi des fruits si succulents et appétissants…

L’enfant et les Bibans : Oskot !!!

« Avance et Osket (la ferme)! », je me rappèlent les mots doux de ma chère mère qui m’emmenait avec elle vers la fin du mois de Ramadan aux souks, prés de Bab Bhar (Porte de la Mer qui me rappèlent sûrement la douceur de ma mère). Aller à la Médina était mon pire cauchemar qui commençait dés qu’on franchissait, ma mère et moi, la Porte de la Mer et s’enfonçait dans les étroites ruelles des Souks. Mon pire ennemi était la foule et tout ces vendeurs qui criaient, comme si leurs cris pouvaient les aider à se débarrasser de leurs marchandises invendables. Enfant, au cœur de la Médina et dans ses ruelles, je cherchais les visages qui se cachaient derrière le Barmakli. Etrange est cette Médina ; elle exhibe sa laideur et dissimule sa féminité. Des femmes en Sefsari apparaissaient de temps en temps. Un Sefsari que le Leader Bourguiba lui-même abhorrait, un Sefsari qui sait très bien comment cacher la plus belle architecture et les plus belles formes au monde. Qu’il soit en soie, ou simple tissu à deux centimes, je détestais ce Sefsari, et cette tendance à dissimuler toute la splendeur de la Tunisie : La femme.

Ma mère, qui n’avait aucun sens d’orientation, se perdait facilement dans la grande Médina, et par conséquent, je me perdais avec elle (enfin, je me perd toujours avec Elle). Elle demandait le chemin aux vieux patriarches de la Médina qui, en compagnie des poubelles jetées ici et là, ornementaient les trottoirs et les passages. Toujours les mêmes gestes et les mêmes réponses : chaque vieillard la jouait savant ; il ôtait sa chachia, couleur tomate traînée dans la boue, comme s’il cherchait une carte de la ville sous sa coiffe, une coiffe qui cachait des idées et des traditions traînées dans la boue, plus sales que la saleté ; il regardait à droite, puis encore à droite, puis il répondait : « Côté Bab Saadoun », « Prés de Bab El Khadra », « Tout droit vers Bab Aasal », etc… Les Biban étaient les repères, les Bibans sont encore les repères, et grâces au vieux, on retrouve toujours les repères, pourvu qu’ils soient les justes…

Le Sultan de La Médina et Tabachir

« Saint Marabout, Sidi Mehrez ya wkhay, Sultan de la Médina réalise mon vœux et déshabille les habillées et dissimulent les poubelles et les patriarches de la Médina, Saint Marabout, Sidi Mehrez ya wkhay, libère les Schéhérazades de tes Harems Ya Sultan, et mets fin à cette injustice qui a duré plus que mille et un siècles ; efface le moustaches des moustacheux, et change les Dengri, Jebba, et chechia en quelques chose de plus présentable. Ah, Saint Marabout, Sidi Mehrez ya Wkhay, Sultan de la Médina, exerce tout ça et ne t’inquiète même pas au sujet de mes études ; je réussirai avec ou sans ton aide. Et avant d’oublier, demande aux vieilles femmes qui se positionnent comme des guerrières prés du puit bénit de ne pas me donner à boire ; je n’aime pas cette eau, et je n’ai pas soif »… « Saint Marabout, Sidi Mehrez ya Wkhay, j’écrirai un prénom avec le Tabachir (craie) sur le portail de la mausolée, celui d’une fillette, alors fais qu’elle pense à moi comme je pense à elle, et si tu peux (bon, ils disent que tu peux) fais qu’elle m’aime comme je l’aime… Et rappèlent toi, je suis une gentille fille qui grandira un de ces jours et qui n’oubliera jamais tes services et viendra te visiter, te laisser de l’argent, t’offrir des bougies, réciter El Hamdou Lellah, et dessiner sur ta porte (ton Bab) quelque chose avec le Tabachir»…


Un mot dédié aux Biban

J’ai toujours détesté les bibans, et baba, et el-Bab, et El-Aatba, et les accès et les entrées… Les portes limitent l’espace, et diminuent notre liberté de mouvement… La médina n’est que des vestiges qui ne protègent plus la population mais plutôt les idées flétries, les traditions pourries, les normes du plus fort, et du plus bête ; elle restera toujours un lieu que je haie, et parce que je le haie, je le réinvente ; la Médina se réincarne en femme, une femme belle, surprenante, nue, toute nue ; une femme qui aime exhiber ses formes, et ses trésors, qui se donne comme un délice par amour et pour le plaisir d’un corps, de deux corps enflammés par les désirs, du feu, un incendie, une Médina volcan, mais une Médina vivante, exquise et attrayante. Ma médina est féminine ; elle me prend entre ses bras, me fais danser comme une flamme au milieu des vents, une flamme immortelle, aussi immortelle que Eve, aussi immortelle qu’une femme qui renaît chaque jour plus puissante et plus majestueuse, la plus grande Médina, la plus grande civilisantion, et la plus grande histoire.

-Faithinlove-

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